Le 12 janvier à 6h 42 du matin, Jeannine Loncamp,
technicienne de surface, ouvrit avec son badge la porte du Laboratoire de
Recherche Biologique d’Argentan (LBA), Orne, et pénétra dans la salle des
essais avec un chariot de ménage et son aspirateur de marque Redfix.
À 6h 54 le fil de son aspirateur de marque Redfix se coinça
dans le pied métallique d'une étagère sur laquelle étaient entreposés des
flacons contenant des principes actifs, fruits d'expérimentations récemment
menées par les équipes du laboratoire.
À 6h 55, un des flacons tomba sur le sol après que le fils
de l'aspirateur Redfix eut fait subir une traction violente à l'étagère sur
laquelle il reposait, chute qui fit qu’il se brisa au moment où il entrait en
contact avec le carrelage.
À 16h 02, Jeannine Loncamp avait terminé de ramasser les
débris du flacon tombé à terre, les avait jeté dans le sac-poubelle de 50 l
attaché à l'arrière de son chariot et avait passé la serpillière au sol pour
éponger le liquide répandu.
À 7h 32, la susdite avait remisé son chariot dans le local
technique et déposé le sac-poubelle dans le container dédié aux déchets
ménagers.
Le 13 janvier, à 8h 05, Jacques Lefébure, gardien au LBA, ignorant
l'alerte qui avait été émises en interne suite à la disparition d'un flacon,
sortit la poubelle sur la RD 46 et la rangea sur l'emplacement qui lui était
réservé afin que les services de la mairie puissent en récupérer le contenu.
À 8h 48 le même jour, les sacs ainsi récoltés étaient versés
à la déchetterie située en périphérie nord d’Argentan.
Le 16 avril, Laurent Brouard, agriculteur, remarquait que le
blé qu'il avait semé à l'automne dans son champ situé à proximité de la
déchetterie, n'avait pas levé.
Le 28 mai, il dut se rendre à l'évidence que son champ était
devenu stérile et il constata qu'il en était de même des champs voisins.
Le 8 juin, les services de la préfecture émirent une note
administrative prévenant de la présence d'une épidémie d'origine inconnue qui
avait eut pour effet de détruire la flore et la faune sur un secteur de 8 km², localisé
au nord et à l'ouest d'Argentan.
Le 12 juin, le ministère de l'agriculture ordonna une mise
en quarantaine de la zone objet de la note.
Le 16 juin, l'épidémie avait atteint le département de l'Orne
dans son ensemble et commençait à toucher l’Eure et l'Eure-et-Loir, avant de
s'étendre à la Beauce.
Le 18 juin, avançant à l'allure d'un cheval au galop, le mal
avait pratiquement touché tout l'ouest de la France et, fin juillet, l'ensemble
de l’Europe.
Le 24 juillet, les premiers signes étaient enregistrés à
proximité de l'aéroport international de Miami et de l'aéroport international
Chhatrapati-Shivaji de Mumbai, si bien que, à la fin de l'année, l'ensemble des
terres agricoles de la planète était ramené à l'état de désert stérile et
inhospitalier, forçant des millions d'agriculteurs à rejoindre les villes,
demeurées intactes dans leur minéralité.
Le 15 janvier de l'année suivante, l’Assemblée Nationale,
une fois passé l'état de sidération dans laquelle l’avait plongé la perte de ses
campagnes, décida qu'il fallait s'organiser pour ravitailler les populations
hébergées dans les ville, car si les sols de la planète étaient devenus à jamais
incultes, il s'avérait qu'il était toujours possible de cultiver sur des
supports artificiels.
Le 22 janvier, en vertu d'une série d'ordonnances prises en Conseil
des ministres, chaque citadin fut mis à contribution, tomates, choux et salades
sur les balcons, endives dans les salles de bains et, pour le blé, une mise en
culture sur les chaussées, les voitures ayant été rendues inutiles de par la
disparition des campagnes, mesures auxquelles s’ajoutait la réquisition des entrepôts
qui jusqu'alors stockaient les produits de la société de consommation, pour
être reconvertis en serres, si bien que, deux ans après le Grand Fléau, l’humanité,
devenu citadine par la force des choses, pourrait enfin manger à sa faim.
Le 1er mai de la troisième année, les tickets de
rationnement furent supprimés grâce au développement de l’AC, Agriculture Citadine.
Le 31 décembre de la cinquième année eut lieu le départ officiel
du premier rallye Paris-Berlin, course inspirée des raids en 4x4 menés par la
jeunesse des villes à la recherche d'émotions fortes dans les déserts, et qui,
conçue d'abord comme une blague de potache qui s'étaient envoyé le défi de
traverser l'Europe d'une traite dans des paysages lunaires, fut vite médiatisée
et érigée au rang d’événement où motos, automobiles de courses et caravanes s’affrontaient
sous l’œil des caméras.
Le 16 mai de la septième année fut inauguré le Nouveau Versailles,
né de la volonté de nostalgiques d’Avant le Grand Fléau qui se piquaient de
reconstituer les jardins détruits en bétonnant les sols et en y réinstallant
fleurs, buissons, charmilles et allées d’arbres et qui, de parcs bucoliques en reconstitutions
des paysages perdus, feraient qu’en quelques années les campagnes renaîtraient de
leurs cendres pour devenir un immense parc d'attraction à l’usage exclusif des
citadins.
Des campagnes sans campagnards.
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